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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 4/05/2023
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par Baptiste Gilbert - le 4/05/2023

Être Montagne, le petit monde des infectés

L’auteur italien Jacopo Starace arrive en France avec sa seconde bande dessinée Être Montagne aux éditions Sarbacane. Déjà auteur de Inn en 2019 (inédit chez nous), il développe cette fois une histoire très réussie entre fantasy et post-apo, qui évoque les crises sanitaires et écologiques.

Être Montagne fait partie de ces œuvres de fantasy tournant autour d’un peuple minuscule, à la Arthur et les Minimoys ou Arrietty : Le Petit Monde des Chapardeurs. Jacopo Starace nous y présente le peuple fourmi, haut de quelques millimètres, qui vit en harmonie avec les insectes et les plantes environnantes, dans des villages utilisant à la fois les éléments naturels et des déchets géants qui parsèment leur univers et semblent avoir été abandonnés par les Êtres Montagne.

Ces derniers, probables humains de notre réalité, sont des géants avec lesquels le peuple fourmi n’a eu qu’une seule interaction : lorsqu’une mystérieuse maladie est apparue, décimant la population des Êtres fourmi, ce n’est qu’à la faveur d’un antidote fourni par les Êtres montagne qu’ils ont pu survivre. Ils les vénèrent depuis comme des divinités qui les ont définitivement sauvés de la maladie. Mais est-ce bien le cas ?

Au fil d’une histoire rythmée aux personnages attachants, on découvre un univers construit de manière intelligente. Les interactions entre les êtres fourmi et leur environnement sont inventives, qu’elles soient harmonieuses ou sources de dangers. Trouvaille de l’auteur, les membres du peuple fourmi portent tous des noms de champignons, renforçant l’idée qu’ils font partie intégrante de leur habitat, et permettant d’accentuer certains éléments de leur personnalité : la paille semble innocente, l’amanite est nettement plus inquiétante, et la cèpe ou le bolet sont positifs et rassurants.

Il est presque frustrant de ne pas en voir plus, et on peut regretter que cet univers du peuple fourmi manque un peu d’ampleur et semble trop restreint en taille et en population. Mais cette manière de le dépeindre lui donne un caractère fragile qui ne fait que renforcer la menace de la maladie. Il règne dans Être Montagne une ambiance d’apocalypse : à tout moment, ce monde semble pouvoir prendre fin.

Épidémie et écologie

© Jacopo Starace / Sarbacane

Le sous-texte écologique est fort. La maladie est arrivée après un changement environnemental : “Le vent sentait bon les fleurs … Une brise chaude et parfumée … Qui s’est un jour changée en un blizzard violent …”. Sans vraiment le confirmer, l’œuvre induit que cette maladie, qui vient perturber des peuples vivant en harmonie avec la nature, est arrivée à cause des Êtres montagne. Les pages parsemées de déchets gigantesques tout droit sortis de notre époque (sacs plastiques, objets électroniques, vélos, cadis, … ) en sont de multiples indices.

Publiée en 2022, l’œuvre et son épidémie évoquent également la crise sanitaire récente. L’auteur transmet de manière efficace l’angoisse provoquée par cette menace qui circule de manière invisible et semble de plus en plus omniprésente à mesure que le récit avance. Une incarnation intelligente de la pandémie de Covid, qui parlera à tous mais reste subtile et évite de pousser trop lourdement la métaphore.

© Jacopo Starace / Sarbacane

L’auteur se sert également de cet univers de fantasy pour traiter des questions de vengeance, d’altruisme et de sacrifice, qu’il soit pour la communauté ou pour ses proches. Il peint au vitriol les fanatiques religieux aveuglés par leur foi, les victimes aveuglées par leur soif de vengeance au point de punir des innocents, et les scientifiques aveuglés par leur mépris des populations moins avancées.

Jacopo Starace nous offre avec Être Montagne une superbe proposition visuelle : ses personnages ont tous une vraie identité, tout comme ses décors aux magnifiques couleurs pastelles. Il fait preuve d’une grande inventivité pour le design de son univers, avec une mention spéciale pour la représentation de la maladie. Celle-ci, sans jamais tomber dans l’horreur corporelle facile, dégouttera à coup sûr les phobiques de la moisissure et des parasites. Cette représentation renforce encore plus la tension autour de cette menace, au point de nous rendre un peu parano et de nous pousser à chercher les traces de la maladie lorsqu’on découvre une nouvelle page. Pour finir, son trait et sa mise en scène présentent un air de famille avec l’animation à la fois dans la gestion de la profondeur et les arrière-plans. Son habileté à créer un univers qu’on pourrait transposer directement à l’écran ou encore son utilisation des flous donnent à cet album une originalité visuelle très appréciable.

Arrivée en France réussie pour Jacopo Starace avec ce récit de fantasy post-apo teinté d’écologie. Un auteur à suivre sur une scène italienne qui nous offre régulièrement des pépites à l’identité forte.

Être Montagne, de Jacopo Starace, Sarbacane


Illustrations : © Jacopo Starace / Sarbacane

© Jacopo Starace / Sarbacane
© Jacopo Starace / Sarbacane
© Jacopo Starace / Sarbacane
© Jacopo Starace / Sarbacane
© Jacopo Starace / Sarbacane
© Jacopo Starace / Sarbacane
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