Évacuons d’emblée les malentendus : Itinéraire d’une garce n’est pas un livre-témoignage sur la vie de Céline Tran, aka Kastuni, qui pendant longtemps fut l’une des porn star préférée des Français. C’est elle qui signe le scénario, mais on est ici sur une fiction au postulat bien éloigné de sa propre vie telle qu’elle était entre les années 2001 et 2013. Céline Tran a depuis sa sortie du circuit du cinéma pornographique multiplié les cartes, les diplômes, les expériences professionnelles, gardant un pied dans la sexualité, mais l’explorant par d’autres aspects. Elle est aujourd’hui actrice (Le visiteur du futur), codirectrice de la collection Porn’Pop aux éditions Glénat, coach en sexualité et en développement personnel. Et elle a abandonné le pseudonyme qu’elle avait pour faire du porno (pseudonyme choisi en lisant un manga!) pour retrouver son vrai nom.
Autre malentendu possible : Itinéraire d’une garce, malgré ce que peut laisser comprendre son titre, n’est pas un ouvrage bas de plafonds racontant la vie d’une quelconque femme affamée de sexe, scénario qui serait le prétexte à multiplier les scènes de sexe, les positions, les partenaires, les fantasmes plus ou moins bien dessinés.
Une femme ménopausée, un couple vieillissant
Au contraire. Itinéraire d’une garce nous raconte la vie d’une femme tout juste ménopausée, et dont la vie sexuelle n’a jamais été très aventureuse.
Mais arrivée à ce tournant de sa vie, alors que sa fille est grande, que son corps ne répond plus aux canons de beauté et que son mari ne la regarde plus qu’avec tendresse mais sans réel désir, Élise se pose des questions. D’autant plus quand, dans le portable de son mari qu’elle consulte sans malice, elle trouve par hasard une confirmation de réservation pour une nuit à l’hôtel.
Itinéraire d’une recherche de désir
L’aventure commence, et ce sont deux rails parallèles que nous allons suivre. D’un côté, la question de l’infidélité du mari, jalonnée de questions sur la vie de couple, la confiance, la sexualité, les envies. De l’autre, le parcours de l’héroïne, qui étape par étape, va commencer à se poser de plus en plus de questions sur ses propres désirs, se demander si sa flamme est réellement éteinte, et se risquer à de nouvelles expériences, puisque son mari déserte le lit conjugal (qui, de toute façon, leur sert principalement à regarder des séries télé).
Itinéraire d’une garce mêle habilement ces deux fils narratifs, les avancées de l’un entraînant systématiquement des conséquences pour l’autre. Au final, le scénario ne révolutionne certes pas le genre, si on se contente de prendre en compte l’intrigue principale et sa résolution. Mais les interrogations et errements de l’héroïne, son « itinéraire » intérieur, séduisent, intriguent, émeuvent, surprennent, renvoient le lecteur ou la lectrice à ses propres questionnements. Bref, Itinéraire d’une garce est, à bien des niveaux, bien plus intelligent et réfléchi que ce que son titre pouvait laisser entendre.
Un dessin charnel et chaleureux
Mais Itinéraire d’une garce n’est pas qu’un scénario, c’est aussi un graphisme. Et un graphisme très raccord avec le fond. Le dessin de Grazia La Padula est étrange, à priori peu sexy. Mais peu à peu, il séduit par ses rondeurs, son côté charnel, sa générosité, sa chaleur. Et les pleines pages allégoriques qui scindent le livre en différents chapitres montrent que la dessinatrice sait aussi habilement jouer dans les registres de la poésie érotique, de la métaphore, de l’idée sans paroles.
Projet osé – faire de l’érotique avec une femme ménopausée à la vie sexuelle tout sauf débridée -, Itinéraire d’une garce s’impose au final comme un album très réussi, tour à tour douloureux, dérangeant, séduisant, émotionnellement décapant. Un album à l’image de son héroïne, qui séduit son lecteur sans qu’il ne s’y attende.
Itinéraire d’une garce, de Céline Tran et Grazia La Padula, éditions Glénat
Illustrations : © Céline Tran et Grazia La Padula, éditions Glénat
