Illustration de l'article
Critiques
par Thomas Mourier - le 15/01/2021
Partager :
par Thomas Mourier - le 15/01/2021

Pacific Palace de Christian Durieux

Probablement l’album de Spirou qui ressemble le moins à un album de Spirou, pourtant le style de Christian Durieux mêlé à cette histoire d’amour impossible, au milieu d’un véritable roman d’espionnage, frappe fort et bouleverse notre vision du personnage.

Pacific Palace de Christian Durieux, Dupuis

Depuis 2006, les éditions Dupuis invitent des auteurs à réaliser leur Spirou, une approche rare dans la bande dessinée franco-Belge qui est la norme dans l’industrie du comics : permettre à chaque équipe créative ou artiste de donner SA vision du héros ou du titre. 

Une formule qui porte ses fruits, car à l’inverse des reprises de Black & Mortimer ou d’Astérix, qui cherchent à coller au cahier des charges, la franchise Spirou s’enrichit d’année en année, donnant quelques chefs-d’œuvre ou récits en passe de détrôner la série “classique” (plus de détails ici.) 

🥊 Spirou V.S. Fantasio 

Arrive cette année celui de Christian Durieux, un thriller politique sur fond de romance, un huis clos étrange hors du temps qui résonne étrangement avec notre actualité. 

Spirou et Fantasio se retrouvent piégés dans un hôtel de luxe, le Pacific Palace, devant assurer la tâche de groom, dans une équipe très réduite, qui va accueillir un dictateur & sa famille en déroute qui fuient leur pays. La France ne sait pas quoi faire de cet homme politique traqué par son pays, et lui donne refuge dans ce lieu le temps de trouver une solution, le palace est bouclé avec ce minimum de personnel et les aller-retour du ministre français qui vient négocier. Dehors, les journalistes commentent cette arrivée, dedans Spirou et Fantasio s’interrogent. 

Fantasio surtout qui y voit une occasion de revenir sur la scène journalistique avec un scoop. Cherchant à découvrir les secrets de la tractation entre la France et le despote, il fouine dans l’hôtel, esquivant les gardes du corps et Mr Paul, le directeur de l’établissement. De son côté Spirou est paralysé par la belle Elena Korda, la fille du dictateur qui hante ses pensées. Cette dernière le provoque, le questionne et le pousse à sortir de sa neutralité. 

Si Fantasio semble effectuer un retour aux sources avec son côté blagueur, effronté et égocentrique ; de son côté Spirou semble à contre-emploi, devenant réservé, mystérieux et docile. Si Fantasio ne manque pas une occasion, Spirou rappelle qu’il est apolitique et les deux amis se disputent avec en toile de fond leur parade pour briller aux yeux de la belle jeune femme qui accompagne ses terribles parents.

Le dessinateur souligne cette opposition entre le journaliste & le groom de manière très graphique : Spirou se fait plus réaliste quand Fantasio est traité façon cartoon. Quand les deux amis se retrouvent, ils ont parfois la même tête et se rapprochent au niveau du style, mais Spirou revient sous un trait plus réaliste quand il se fait mélancolique ou à l’approche d’Elena. 

© Christian Durieux / Dupuis

🌊 Un album poétique & politique 

4 jours et 3 nuits dans la tourmente, entre secrets d’états & secrets intimes. Cet album joue sur le temps, sur la perception mêlant le vrai & le faux dans un ballet d’illusions poétiques & politiques.

Inspiré du couple Ceaușescu, les époux Korda sont la cible des militants, des journalistes et un poids pour le gouvernement français qui les hébergent. L’album détaille à plusieurs reprises leur ascension puis la chute, du culte de la personnalité à la haine de ce dictateur des pays de l’Est. 

Gravite autour de lui Mr Paul, directeur de l’hôtel à la fois figure énigmatique et mentor de Spirou. Un vieil homme qui a fréquenté aussi bien Michael Jackson que Korda le jour où il est venu signer un traité de paix dans cet hôtel, un homme de secrets pas aussi neutre qu’il aimerait le faire croire en tenant son établissement comme un vieux majordome anglais. Le directeur semble parler plusieurs langues et possède une pièce secrète dans le palace qui ouvre la porte à quelques interrogations pour notre groom.

Pour symboliser cette situation, on aperçoit à la télévision, Seccotine devenue reporter sur le terrain qui commente l’action depuis les grilles du Palace, sans pouvoir y entrer. Laissant Fantasio aux prises avec son reportage un peu trop facile et Spirou face à son tourment intérieur. Tout est bouclé. 

La beauté des images tranche avec le propos trivial des hommes politiques ou des grivoiseries de Fantasio, la fascination de Spirou se sublime dans les scènes oniriques de piscine, l’atmosphère oppressante s’ouvre sur des jardins merveilleux. Entre l’esthétique des films de Wes Anderson ou ceux des mondes de J. G. Ballard, de The Grand Budapest Hotel à  Vermillion Sands ; la pâte de Christian Durieux inscrit ce nouveau Spirou dans une fracture entre les mondes, dans un lieu hors du temps qui ne sera débloqué que par une Nature indifférente aux humains. 

Si tous les décors relèvent de cet hôtel mystérieux, porté par des couleurs pastel dans ocres-roses vintage et cloisonnés, la nature tranche par ses bleu-verts plein d’espoir et de magie. En poussant ses variations stylistiques, de dessin pour les personnages, ou d’ambiance pour les décors, le dessinateur joue avec les ambiances. 

🎶 Bande son inédite 

Pour plus d’immersion, le dessinateur s’est associé à Mark Daumail et son groupe Cocoon pour créer deux titres qui accompagnent l’album : Blue Night et Sweet Lena. Deux titres évanescents qui accompagnent bien la lecture de l’album, prolongeant les images oniriques et les ambiances envoûtantes de cette histoire.  

Christian Durieux réalise la pochette de cet EP et le clip illustré que vous pouvez découvrir ici : 

Étrangement cet album ne ressemble pas à un album de Spirou, mais sans le personnage & ce qu’il véhicule, cette histoire aurait perdu de son charme. Alors à quoi tient l’essence de Spirou si ce n’est le souvenir que le lecteur en a plus que les attributs graphiques ? 

Une idée de Spirou plus qu’une représentation formelle, voilà qui ouvre encore bien des portes pour explorer les héros classiques sans rester coincée dans un canevas trop étroit, messieurs les Gaulois suivez mon regard.

Pacific Palace de Christian Durieux, Dupuis
Sortie janvier 2021


Illustration principale & planches : © Christian Durieux / Dupuis

© Christian Durieux / Dupuis
© Christian Durieux / Dupuis
© Christian Durieux / Dupuis
Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail