Disponible depuis quelque temps déjà du côté de Neopolis, la collection science-fiction des Editions Delcourt, Terra Prime vous propose d'embarquer à bord du Victoria III, un vaisseau-monde lancé dans l'espace à la poursuite d'un nouveau berçeau pour l'humanité. Vous l'aurez compris, le pitch sent bon les canons de la S-F moderne, mais Terra Prime est un album assez dense pour vous réserver quelques surprises.
On commence notre aventure aux côtés d'Elise, une scientifique vivant à bord du Victoria III, et qui n'hésite pas à critiquer les choix de ses dirigeants, dont le Premier Conseiller, attaché aux valeurs d'une humanité qu'il a quitté il y a maintenant des siècles. Il faut dire que le quotidien dans le gigantesque navire n'est pas de tout repos, et que plusieurs camps politiques s'affrontent dans les ombres, pour le contrôle du Victoria III. Si l'idée d'une arche spatiale incarnant l'avenir de l'humanité n'est pas nouvelle, Philippe Ogaki, qui signe les dessins et le scénario de cet album, s'emploie à rendre le voyage moins commun avec quelques bonnes idées, dont cet affrontement politique qui s'inscrit en filigrane de la vie à bord.
Malheureusement, ces idées ont à peine le temps de rebondir dans nos têtes qu'elles sont déjà remplacées par d'autres. C'est là une des caractéristiques de cet album, qui est extrêmement dense en termes de contenu et de réfléxions. Parfois, on préfera passer à une nouvelle étape du récit, mais souvent, on se dit que les rebondissements auraient mérité plus de développement. Dommage pour Terra Prime, qui semble fourmillier de bonnes idées, mais qui n'ont pas toutes le temps de germer dans l'esprit du lecteur.

Côté dessin, le trait est inégal, bien qu'original. Philippe Ogaki puise en effet dans l'esthétique de la science-fiction américaine, avec des décors et des personnages qui ne sont pas sans rappeler des classiques du jeu-vidéo comme Mass Effect ou Halo. Les amateurs de cette SF mainstream mais léchée seront donc servis, mais on aurait aimé plus d'originalité dans les concepts. À défaut, le mélange des influences franco-belge et manga fonctionne assez bien au sein de l'univers développé par Terra Prime. En revanche, les couleurs de Linda Akonesilp et d'Ogaki, au rendu très métallique, ne servent pas vraiment les dessins de l'auteur.
En somme, la première partie de l'album souffle le chaud comme le froid, mais souffre surtout de sa densité. Les enjeux, qui ont peu de place pour se développer, nous passent un peu au dessus. En conséquence, les personnages deviennent très archétypaux, voire caricaturaux, nous empêchant toute identification durable. Le rythme, bien heureusement, finit par ralentir dans la seconde moité de l'album. Dans cette dernière, le vaisseau que nous connaissions n'occupe plus le rôle de décor, et les concepts disposent d'un peu plus de temps pour se développer.

C'est indéniablement la partie la plus intéressante de l'album, qui pousse plus loin la démarche entamée par Ogaki dans son introduction. Ca n'empêche pas le récit d'être gangrené par des ellipses colossales maladroitement corrigées par une exposition peu subtile. Mais dans l'ensemble, ce deuxième contexte offre à Terra Prime un terrain de jeu plus intéressant et un poil plus original. Il aurait d'ailleurs pu l'être encore plus si Philippe Ogaki avait assumé toutes ses idées. Par exemple, on évoque la reproduction inter-espèces, mais on ne nous explique pas comment elle peuvent communiquer.
Récit extrêmement dense porté par des dessins pas toujours envoûtants, Terra Prime parviendra tout de même à capturer la curiosité des fans de S.F avec ses belles idées et ses ambitions. L'exposition, les archétypes et les lieux communs sont au rendez-vous, mais sont assez bien nuancés par quelques trouvailles et ce qu'il faut d'audace. Ce n'est sans doute pas le meilleur album à base de science-fiction de l'histoire du franco-belge, mais c'est un travail honnête et complet qui mérite votre attention.








