La crise de Mai 1958, à qui cela parle t-il encore ? Ceux qui l’ont vécue s’en souvienne, évidemment, mais pour les autres, la date convoquera au mieux d’obscurs souvenirs scolaires. Et pourtant, c’est cette crise que François Boucq et Nicolas Juncker ont choisi comme sujet pour faire un album historique et humoristique.
Oui, historique et humoristique, les deux à la fois, sans que l’un des éléments ne prenne le pas sur l’autre.
Une bande dessinée historique…
Un Général, des Généraux, est indéniablement une bande dessinée historique : on y croise l’ensemble des acteurs de la crise de l’époque – tous des hommes, et pour la plupart des Généraux ou des représentants de l’État (d’où le titre). Et on nous raconte un moment charnière de l’histoire de la France. Lequel ? Les événements de Mai 1958, quand l’arrivée au pouvoir en France d’un nouveau gouvernement qui semble prêt à dialoguer avec ceux qui veulent l’indépendance de l’Algérie (alors française) fâche les colons qui vivent de l’autre côté de la Méditerranée, et met tout un paquet de hauts gradés de l’Armée au pied du mur. Rester loyaux à l’Etat français ? Soutenir ceux qui veulent que l’Algérie reste française ? En Algérie, les généraux ne savent plus sur quel pied danser. Et à Colombey-les-Deux-Églises, un général et politicien à la retraite s’ennuie, et regarde tout cela d’un œil intéressé… De Gaulle est-il celui qui pourra sauver la France, ou le plus ridicule des multiples Généraux qui se retrouvent embarqués dans cette histoire ?
… et une bande dessinée humoristique
Mais Un Général, des Généraux est aussi sans conteste une bande dessinée très drôle, qui joue sur plusieurs registres d’humour : satire, comique de situation, répliques grinçantes, personnages hauts en couleurs… Le fait est qu’ici, la réalité est tout simplement très drôle, si on décide de la voir ainsi.
Vaudeville politico-militaire, comédie satirique, comédie pathétique et tragique… Comment qualifier cet humour si particulier qui fait de Un Général, des Généraux une histoire aussi amusante à lire qu’intéressante à découvrir, et qui réussit le tour de force de faire rire tout en nous montrant des moments de l’histoire qui, pour ceux qui les ont vécus, ont pu être tragiques ? Le néologisme « humoristorique » pourrait être utilisé.
Une réussite sur tous les plans
Dans la postface par Tramor Quemeneur, historien spécialiste de la Guerre d’Algérie, adoube cette bande dessinée sur le versant historique, et salue au passage le coup de force de narration. « Cette histoire est en effet si désespérante qu’il faut [la conter] poliment, avec humour, pour paraphraser Chris Marker. »
Le même historien évoque quelques références cinématographiques qui mêlent histoire réelle et satire. Mais tournons-nous ici plutôt vers une référence BD : Un Général, des Généraux évoque par bien des aspects le très bon La mort de Staline. Même façon de transformer un moment d’histoire plein de tension en bal grinçant, même capacité à éclairer tout le ridicule qui se cache dans chaque acte de ceux qui se croient puissants, même façon d’éduquer le lecteur tout en le distrayant. Une réussite.
Un Général, Des Généraux, de François Boucq et Nicolas Juncker, Le Lombard.
© François Boucq / Nicolas Juncker / Le Lombard
