Orientations sexuelles et identités de genre, le sigle LGBTQI+ est utilisé pour regrouper plusieurs termes pour qualifier les personnes lesbienne, gay, bisexuelle, trans, queer, Intersexe… le + final indiquant l’évolution permanente et les nombreux termes non précisés plus haut qu’il peut évoquer.
Les thématiques et la visibilité des personnes LGBTQI+ est de plus en plus présentes dans la bande dessinée et sous plusieurs formes (journaux, fictions, reportages, mémoires, biographies, humour, SF…).
On vous propose plusieurs pistes de lectures autour de grandes thématiques mais n’hésitez pas à nous faire préciser ou à proposer d’autres titres sur les réseaux (Facebook, Twitter, Instagram)
⚡️Super-Héros & pop-culture
Les super-héros affirment leur sexualité dans les comics depuis de nombreuses années, et l’exemple le plus récent est Jon Kent, l’actuel Superman, qui révèle sa bisexualité dans la série Superman : Son ol Kal-El N° 5 écrite par Tom Taylor et dessinée par John Timms (lire l’édito complet ici).
Les exemples sont nombreux en comics, depuis le mariage de Midnighter et Apollo dans la série The Authority de Warren Ellis & Bryan Hitch (lire le coup de coeur) jusqu’au couple formé par Hulkling & Wiccan, les nouveaux Avengers (à lire dans Avengers par Heinberg & Cheung. Une des meilleures suites à House of M. )
Chez Marvel, pas mal de mutants sont qualifiés de LGBTQI+ : Raven (Mystique en VF), Karma, Iceberg avec parfois des incidences sur l’histoire comme le célèbre mariage du mutant Northstar (Véga en VF) avec Kyle Jinadu dans le numéro 51 des Astonishing X-Men de Marjorie Liu & Mike Perkins qui a été un événement éditorial aux USA.
Et chez DC Comics un personnage phare de la Justice League, le 1er Green Lantern : Alan Scott est officiellement gay depuis quelques années. Le personnage de Batwoman était également présenté comme lesbienne depuis sa réapparition. Et plusieurs personnages de Catwoman à Wonder Woman laissent planer le doute selon les équipes créatives.
🌈 Oeuvres emblématiques
Le bleu est une couleur chaude de Jul’ Maroh, Glénat
Avec son adaptation au cinéma par Abdellatif Kechiche sous le titre La Vie d’Adèle qui remporte la Palme d’or 2013 à Cannes : cet album est probablement le plus connu du grand public parmi cette sélection. À noter que si l’auteur et le réalisateur ont collaboré pour ce long-métrage, le film n’est pas une adaptation fidèle de la bande dessinée. Et l’album a reçu le Prix du Public Fnac-SNCF en 2011 au Festival de la BD d’Angoulême.
Une histoire d’amour sur plusieurs époques, mais surtout un récit d’apprentissage, on découvre la vie de deux jeunes femmes Clémentine & Emma. De leurs premiers questionnements à leur vie à deux, en passant par l’homophobie & le militantisme : le destin de ces femmes permet à l’autrice d’aborder plusieurs sujets clefs sans donner de leçons à travers le courage des protagonistes.
Stranger in paradise de Terry Moore, Delcourt
Un vaudeville brillant, entre polar et soap-opéras, qui a tenu presque quinze ans ses lecteurs autour d’une histoire d’amour, un trio amoureux (et plus particulièrement son héroïne Katchoo.) La force de ce comics est d’avoir su proposer une histoire très ancrée dans le réel et les préoccupations de société pour de jeunes adultes tout en laissant une place énorme à la créativité. Le découpage, les récitatifs, la mise en scène ou les dessins évoluent tout au long des pages et proposent des épisodes expérimentaux.
Une série qui oscille entre les thèmes très durs comme le meurtre, le viol ou la prostitution avec la légèreté de la romance omniprésente ou des petits bonheurs quotidiens si bien mis en scène. Plus de 2 000 pages de bande dessinée qui raconte la vie de ce qui devient au final de vieux amis que l’on peine à laisser partir.
🧡 Lire le coup de coeur complet ici
Mauvais genre de Chloé Cruchaudet, Delcourt
Comme pour Le bleu est une couleur chaude, Mauvais genre reçoit le Fauve d’Angoulême prix du public Cultura à sa sortie (c’est le même prix qui a changé de nom) sera également Grand Prix de la critique de l’ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée.) Un album très graphique aux silhouettes élancées toutes en nuances de gris qui font ressortir la couleur rouge qui ponctue l’album.
Cette fiction documentée est inspirée de l’essai La Garçonne et l’Assassin de Fabrice Virgili & Danièle Voldman présentant la vie de deux personnes réelles Paul Grappe et Louise Landy. Pour échapper au front, Paul se travesti en femme, Suzanne, dans le Paris du début du XXe siècle et l’album raconte comment ce déguisement va se transformer en identité. Paul/Suzanne découvre une forme nouvelle de sexualité et son couple avec Louise va évoluer au milieu du Bois de Boulogne et dans les cabarets. Sur ce fond de 1ère Guerre Mondiale va se jouer le procès d’une femme qui souligne les tabous et l’incompréhension de l’époque.
Blue de Kiriko Nananan, Casterman
Autrice rare à la bibliographie mince, Kiriko Nananan s’est imposée en quelques titres comme une des figures incontournables de l’écriture de l’intime. Amours adolescents, découverte de la sexualité, questionnements sur le genre, Kiriko Nananan a mis des mots et des images sur des questions peu abordées malgré leurs caractères universelles. Tous ses livres évoquent l’amour, l’amitié et ces moments éphémères qui conditionnent toute une vie. Avec beaucoup de finesse, elle propose une série de nouvelles sur le quotidien et les relations humaines qui balaye clichés et subterfuges pour ne garder que l’essentiel.
Son travail recèle des petits détails graphiques et elle conçoit ses histoires de sorte que les lecteurs soient obligés de relire plusieurs fois l’ensemble pour tout saisir, comme un souvenir que l’on ressasse encore et encore. Son trait fin presque suggéré, nous invite à nous projeter et à recomposer le puzzle avec ces souvenirs. Cette réflexion sur la perception est particulièrement soulignée au cœur de Blue avec une scène incroyable d’inversion des personnages, de sorte que le lecteur en ressort aussi troublé que nos héroïnes. Peu d’auteurs se sont penchés sur l’écriture des sentiments et la réécriture du quotidien comme Kiriko Nananan.
🔥 Auteurs incontournables
Alison Bechdel
L’autrice américaine a publié pendant 25 ans un strip L’Essentiel des gouines à suivre (Dykes to Watch Out For en V.O.) qui aborde énormément de thèmes liés à la communauté LGBTQI+ et propose un portrait de son évolution au fil des deux décennies couvertes par la dessinatrice. Très politique et engagée, cette série fait écho à l’actualité et s’interroge sur des problématiques de société qui en font un strip très contemporain.
Alison Bechdel a également réalisé 2 albums sur ses parents (Fun Home puis C’est toi ma maman ?) qui contiennent aussi ses propres questionnements : de ses découvertes littéraires à l’affirmation de sa sexualité jusqu’au moment où elle assume pleinement son homosexualité. Elle se livre à un travail profond où elle s’attache à comprendre quelle a été la part d’influence de ses parents sur elle et sur ses choix et la nécessité de se préserver un espace, une distance critique pour s’affirmer.
C’est une équilibriste de la BD, entre biographie romancée et bande dessinée, humour noir et moments touchants, références littéraires fortes et goût de la dérision, recherche de la vérité et plaisir du souvenir… la narratrice se pose des questions et tente de trouver des réponses par la lecture et l’écriture.
🧡 Lire le coup de coeur
Ralf König
Depuis 40 ans, le dessinateur allemand Ralf König publie des albums d’humour mettant en scène des personnages gay. Célébré en France grâce aux publications de ses planches dans Fluide Glacial puis en album chez Glénat.
La série Conrad et Paul, les parodies ou ses adaptations décalées de Shakespeare (Iago) ou Aristophane (Lysistrata) lui permettent de dire beaucoup de choses sur notre époque à travers ses personnages décalés ou caricaturaux. Ses planches sont elles aussi en lien avec notre société et on peut voir les évolutions à travers les albums successifs. Son style graphique, proche du dessin de presse souligne cet effet pris sur le vif.
S’attaquant à tous les thèmes, il s’essaie aussi, avec humour toujours, à des albums sur la religion à travers un pastiche des Milles et Unes Nuits ou encore l’histoire du porno.
Fabrice Neaud
De 1997 à 2010 l’auteur Fabrice Neaud a tenu un Journal, un carnet intime et graphique dans lequel il raconte son quotidien et celui de ses proches. Il parle de son homosexualité en abordant des thèmes qui gravitent autour de sa sexualité, habituellement passés sous silence autour de la famille, du milieu social, de ses fréquentations multiples vues comme de la consommation…
Très touchante, cette plongée dans le quotidien d’un homme qui partage ses questionnements et ses réflexions est une belle expérience de lecture d’ouverture vers l’autre. Il y ajoute des passages sur sa pratique artistique, des moments plus philosophiques ou introspectifs dans une œuvre qui essaie toujours de rester le plus sincère possible.
Le style évolue beaucoup entre le 1er et le dernier volume. Le dessinateur s’approche le plus possible du réalisme et du dessin sur le vif (bien qu’il travaille souvent d’après photo.)
Son trait très réaliste permet une immersion totale et ajoute au caractère “vrai” proposé par l’auteur. Tout en noir & blanc, souvent croquis d’observation très poussé et parfois au trait symbolique rappelant le travail de David B.
Un peu d’humour, beaucoup d’érudition, et de belles réflexions sur l’amour & l’amitié, ce journal au long court mérite à la fois plusieurs relectures et qu’on le lise par bribes, qu’on puisse le regarder d’une manière linéaire ou piocher au hasard. D’ailleurs le dernier volume met en scène l’auteur qui reçoit des retours de lecteurs, de proches sur le 1er, la boucle est bouclée.
Gengorō Tagame
Habitué des histoires érotiques et figure de proue du manga gay, Gengorō Tagame passe après presque 30 ans de carrière et un grand succès dans son genre de prédilection, au manga grand public, dans le style « tranche de vie ».
Le Mari de mon frère est une courte série qui met à plat les préjugés contre les personnes homosexuelles à travers une histoire de famille attachante. Un père et sa fille, Yaichi et Kana, reçoivent la visite d’un grand Canadien qui se présente comme le mari du frère jumeau de Yaichi récemment décédé. En arrivant dans la vie du frère de son mari, Mike chamboule le quotidien très réglé de Kana et Yaichi. Ce dernier combat ses préjugés et à priori sous forme de monologues intérieurs mis en scène en doubles cases projection/réalité. Ou grâce à sa fille qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat.
Son trait habituellement très détaillé se fait plus rond et iconique pour cette série. Les deux héros gardent une carrure hors-norme à la musculature développée, mais la proximité avec les autres œuvres de Tagame s’arrête là. L’accent est mis sur la mise en scène des émotions et du dialogue intérieur à travers ses doubles scènes (situations ou dialogues imaginés puis vécus), ou son utilisation des trames et des noirs et blanc pour appuyer ces actions invisibles.
✨ Autres lectures conseillées
Pour aller plus loin, quelques albums qui se penchent sur la question ou dont l’un des personnages principaux est identifié comme LGBTQI+.
📚 Magasin général de Régis Loisel & Jean-Louis Tripp, Casterman
📚 Rouge Tagada de Charlotte Bousquet & Stéphanie Rubini, Gulf Stream
📚 Esthétique et filatures de Lisa Mandel & Tanxxx, Casterman
📚 Vieille Peau de Pochep, Fluide Glacial
📚 Justin de Gauthier, Delcourt
📚 En Italie, il n’y a que des vrais hommes de Sara Colaone & Luca de Santis, Dargaud
Pour aller plus loin
Vous pouvez faire un tour sur la page Facebook de LGBTBD, une association loi 1901 pour la promotion des thématiques et de la visibilité LGBT dans la bande dessinée, créée en 2008 par le scénariste et traducteur Jean-Paul Jennequin.
La page Facebook du Salon BD & images LGBT Paris qui propose chaque année de faire découvrir le travail d’auteur-e-s de BD et illustrateurs-illustratrices qui mettent en scène des personnages LGBT et leurs univers.
Et le site de la Revue LGBT BD
Ou visiter le site du projet HÉRO(ÏNE)S où des auteurs inversent les genres des héros iconiques de bande dessinée dans des vignettes très graphiques.
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Illustration principale : ©Terry Moore /Abstract Studio / Delcourt