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par Thomas Mourier - le 14/11/2025
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par Thomas Mourier - le 14/11/2025

Interview de Fabrice Joubert, coréalisateur réalisateur avec Alain Chabat de la série Astérix et Obélix : le combat des Chefs sur Netflix 

Succès mondial, série diffusée dans 190 pays, l’une des grandes surprises du cinéma d’animation en 2025 s’appelle Astérix. Aux commandes Alain Chabat & Fabrice Joubert qui ont co-réalisé cette série fabriquée en France, aux studios TAT Productions, pendant 2 ans et demi.

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

Je vous ai dit tout le bien que l’on pensait de cette série ici, et, à Angers, j’ai eu la chance de rencontrer Fabrice Joubert pendant le festival Cultissime.

Animateur depuis plus de 20 ans, diplômé de l’école des Gobelins à Paris, Fabrice Joubert à commencé sa carrière chez DreamWorks dans les années 1990, en traditionnel comme il l’explique « J’ai commencé ma carrière en traditionnel, en 2D sur le Prince d’Égypte, j’ai connu toute l’évolution de la 3D, j’ai même travaillé en stop motion. » Le stop-motion, c’était chez Aardman pour Wallace et Gromit : « Pour un animateur, on ne peut pas toucher l’essence de l’animation plus que ça ! On est devant des personnages qu’on peut toucher et on leur donne vie.

Au sujet de la 3D utilisée sur Astérix et Obélix : le combat des Chefs, il précise d’ailleurs ‘On choisit le médium en fonction de ce qui est optimal et ce qui est le mieux pour le projet. Je ne pense pas que la 3D aujourd’hui va vieillir, on est arrivé à un niveau technique qu’on arrive à avoir une qualité à la fois d’animation et visuelle qui est bonne.’ 

Je vous propose d’en savoir plus sur son métier de réalisateur dans l’animation, sur l’animation elle-même et sur les coulisses de la série Astérix et Obélix : le combat des Chefs.

Quel est le travail spécifique d’un réalisateur dans le cinéma d’animation ? 

Fabrice Joubert : On supervise toutes les étapes. Si on ne participe pas à l’écriture —parce qu’un réalisateur peut participer au scénario, ici ce n’était pas mon cas— on part du storyboard jusqu’au rendu final. Plus la post-prod, comme au cinéma, tout ce qui est musique, son, étalonnage… on est présents du début à la fin. Le rôle du réalisateur c’est vraiment de guider toutes les équipes —on parle de 300-350 personnes là et on a des chefs d’équipe heureusement— et de faire les choix. 

Photo ©Agence Quelle belle histoire

Comme je travaillais au quotidien avec les équipes, j’ai tout regardé : chaque élément qu’on voit à l’écran, une table, un vêtement, une coupe de cheveux… m’a été présenté. Parfois je fais des notes, parfois des dessins par dessus —avec un outil spécifique, on appelle ça des draw over— puis ils corrigent, me remontrent et je valide. 

Ça, c’est pour tout ce qui est visuel, mais il y a aussi la mise en scène et pareil on fait des choix. Je fais des centaines de choix par jour, c’est ça le job du réalisateur, c’est celui qui maintient la vision. Il y avait Alain [Chabat] qui apportait sa vision, moi aussi et il fallait cadrer pour que tout le monde travaille dans le même sens. 

C’est un peu cliché, mais c’est vrai, c’est le capitaine de bateau qui garde le cap.

Comment vous attribuez les séquences d’animation aux animateurs, comment vous décidez qui fait quoi ? 

F. J. : On avait un directeur d’animation, Nicolas Chauvelot qui avait son équipe d’animateurs. Et c’est très hiérarchisé : on a des équipes de 6-7 animateurs avec un superviseur d’équipe ; et la série est divisée en séquences, chaque équipe va prendre des séquences. Donc le travail est déjà distribué par équipe et le superviseur de l’équipe va distribuer et faire un casting avec ses animateurs en fonction des affinités et des talents de chacun. 

Et une particularité sur Astérix, c’est qu’on a mis en place en préparation des attributions de personnages, on a donné des personnages à des animateurs —des superviseurs ou des seniors— qui se sont appropriés ces personnages, les ont développés. Il y a tout un travail préparatoire avant l’animation où on travaille le set up —c’est le squelette, on fait des tests pour voir que tout bouge bien, tout se transforme bien sans déformations. 

Et c’était une bonne chose de confier des personnages à des animateurs en amont parce qu’ils sont devenus les spécialistes de ces personnages ; et, pendant la production, les autres animateurs pouvaient aller poser des questions aux spécialistes. Ça permettait de maintenir une cohérence, une homogénéité de style. C’est une technique qui vient un peu de la 2D : en animation 2D on travaillait par personnage, on avait des équipes dédiées aux personnages.

En 2D, il y a les animateurs et les intervallistes, mais là en 3D tout le monde fait tout ? 

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

F. J. : Oui là l’animateur termine son plan, il gère tout de A à Z. Après, on a des équipes qui sont séparées pour les foules par exemple. Une équipe dédiée parce que c’est un gros travail, ici on avait la fête foraine et l’arène et ils ont fait un super travail, c’était vraiment pas évident.

Est-ce que vous avez aussi animé des séquences en plus du travail de réalisation ? Comme les onomatopées ? 

F. J. : J’aurais bien aimé, mais je n’ai pas eu le temps. Je voulais même faire du storyboard, j’en ai fait un tout petit peu… 

Mais le boulot de réalisation, il faut imaginer que toute la journée, on regarde les choses, on valide des choses. On travaille avec tous les départements, donc même si on aimerait on n’a malheureusement pas le temps.

Avec votre court métrage remarqué French Roast, vous jouez beaucoup avec l’humour, qu’il soit visuel, comique de situation, décalage ou transgression, c’est un peu le cas d’Astérix dont l’humour graphique doit aussi bien être adapté que le scénario : comment vous avez abordé le combat des chefs à partir du scénario d’Alain Chabat, Benoît Oullion et Piano ? 

F. J. : Dans l’animation, ce qu’on adore faire, c’est de voir comment on peut rajouter de la comédie dans l’acting. On vient au service de l’histoire, approfondir les personnages et leur personnalité pour amener de l’humour. 

On a une collection de personnages, qui sont tous aussi drôles les uns que les autres, c’était un plaisir. Et les animateurs ont apporté beaucoup, il y a des choses qui ont été ajoutées à l’animation qui étaient des idées purement d’animation —qui n’était même pas dans le scénario— c’est vraiment un travail collaboratif. Chacun peut amener sa petite pierre, mais on partait déjà avec l’humour des albums et l’humour d’Alain Chabat, franchement, je n’avais pas grand-chose à faire. 

Et il y a deux choses, il y a aussi la partie direction artistique : ça c’est plus Aurélien Prédal qui a vraiment apporté des idées. Notamment si vous vous souvenez de la séquence qu’on appelle « la séquence Boombastic », la séquence musicale avec Panoramix qui fait des potions, c’est lui qui a trouvé cette idée au niveau des couleurs en référence à des impressions des années 60. 

Il avait remarqué que sur des albums des premières éditions, on avait ce décalage de couleur, et il c’était dit que ce serait intéressant d’utiliser ce concept pour la potion magique. Et donc, on a cet effet de dédoublement de couleur d’impression —magenta, cyan, jaune— qu’on a réutilisé à la fois pour l’effet quand les personnages boivent la potion, mais aussi la couleur de la potion elle-même.

Et pour la séquence du jeu vidéo en mosaïque pour expliquer les règles du combat ? 

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

F. J. : C’est un bon exemple, c’était une idée que j’ai amenée parce qu’Alain voulait que ce soit expliqué de manière différente, que ce ne soit pas en 3D. J’ai proposé de la mosaïque animée, puisqu’on était dans un contexte où il y avait une mosaïque à ce moment-là, mais on n’était pas sûr que ça fonctionne. Aurélien a conçu le design des personnages en mosaïque, on a fait des tests et c’était assez convaincant. Mais oui, ce sont des vrais partis pris visuels de comment raconter l’histoire de façon un peu plus fun.

Par rapport à la narration visuelle, c’est vrai qu’on était sur une série qui repose beaucoup sur le dialogue —où l’humour passe beaucoup par le dialogue— mais on a quand même essayé de rajouter une couche dans l’animation. Ça vaut le coup de regarder la série plusieurs fois parce qu’il y a plein de choses qui se passent dans l’acting : on a essayé d’y injecter des petites réactions, des choses un peu humoristiques, comiques. 

Sur French Roast j’avais pris le parti de ne pas mettre de dialogues, quasiment pas de dialogues, il fallait que tout passe par l’acting. C’est de la pantomime presque. Les idées viennent assez intuitivement, et on se demande qu’est-ce qui sert le mieux le projet et l’histoire. Ce n’est pas trop intellectuel, en fait, c’est plus intuitif dans ma démarche. 

Graphiquement il y a aussi des mini-films encapsulés dans la série comme Panono ou le dessin animé surprise à la fin, c’était pour casser le rythme ? Surprendre à chaque nouvel épisode ?

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

F. J. : Panono c’était là assez tôt, je pense, dans le scénario. C’était une idée d’Alain de tromper un petit peu le spectateur en début de l’épisode avec un pastiche de série preschool [dessins animés destinés aux enfants de 2 à 5 ans]. Et ça servait l’histoire en même temps, puisqu’on est dans la tête de Panoramix : c’est parfait, à la fois inattendu et complètement cohérent avec l’histoire.

Pour les sangliers à la fin, c’est arrivé assez tard. Pour l’anecdote, dès le début du scénario, on avait des sangliers dans la série avec une petite histoire en filigrane —un peu comme dans l’Âge de glace avec Scrat. Par touches comme ça, on retrouvait nos sangliers qui voulaient voler des légumes dans le potager. Mais on n’a pas réussi à l’intégrer dans la série pour plein de raisons. Ça cassait le rythme, c’était compliqué de l’intégrer de façon fluide et du coup, on n’a jamais fabriqué les sangliers.

Et comme on ne les avait pas fabriqués, c’était trop tard, en termes de budget on ne pouvait plus les faire après et je sentais qu’Alain était frustré de ne pas avoir ses sangliers. Et puis, un moment donné, il a eu cette idée de court métrage pour quand même les mettre.

Il a fait appel à Piano, qui avait participé à l’écriture de la série, un animateur 2D. Et c’est un super animateur, si vous connaissez la série Avez-vous déjà vu ?, il a fait beaucoup d’épisodes, et il a vraiment un talent comique. Avec Alain, ils ont travaillé sur ce court métrage.

Et le découpage en épisodes a été décidé au scénario, j’imagine, mais est-ce que vous avez bougé des choses en réalisant le storyboard ou la mise en scène ?

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

F. J. : Oui. De base, il y avait 6 épisodes dans les premiers scénarios et quand je suis arrivé sur le projet, c’était déjà réduit à 5. Il y avait plus de matière, mais ils ont essayé de réduire.

Pour les changements, ce que vous voyez dans le premier épisode, la baston, était dans le 2e épisode à l’origine. Et ça, c’était justement un changement qui a été fait pour le mieux, le seul gros changement qu’on a fait, sinon le reste est assez proche du scénar. 

Pourquoi Alain Chabat à choisi spécialement cet album à votre avis ? 

F. J. :  C’est un album un peu à part, dans le sens où c’est le seul album dans lequel les Gaulois sont vraiment en danger et que c’est la première fois que le druide n’a plus la recette de la potion magique parce qu’il a perdu la mémoire. On a un réel enjeu, on a une vulnérabilité chez nos héros gaulois et au niveau scénaristique, c’est de l’or. Je pense que c’est un peu pour ça qu’Alain avait choisi cet album.

C’était un sacré challenge, parce qu’on avait cette pression de devoir rendre vraiment hommage au travail d’Uderzo & Goscinny et en même temps d’amener une certaine modernité. Et c’est vrai que ce mélange de cette culture commune qu’on a de l’œuvre d’Uderzo & Goscinny et l’apport d’Alain Chabat, je n’avais pas trop de doute que la potion magique allait fonctionner.

Quelle est l’importance de la bande-son et du casting vocal pour vous, c’est une base pour animer, pour créer les scènes, car on imagine que cela apporte des + et des variations par rapport au scénario aux intentions premières : comment vous vous en emparez ?

F. J. : Oui beaucoup. C’est marrant parce qu’il y a une idée préconçue : que les voix se font après, on parle beaucoup de doublage en France, mais, je pense que ça vient de cette culture du doublage des films en général. Mais quand on crée un film d’animation, on enregistre les voix avant —il n’y qu’au Japon où ils font les voix après, mais en France et aux États Unis on enregistre les voix et ensuite on anime sur les voix. 

Pour les animateurs, c’est hyper précieux  parce que, déjà, c’est la première source d’inspiration pour essayer d’imaginer & de visualiser le jeu d’acteur —on a on a accès aux enregistrements filmés des comédiens même si pour être honnête, on ne va pas décalquer puisqu’ils sont derrière un micro, ils ne sont pas du tout dans un contexte de jeu, sur une scène ou sur un plateau. Mais on peut aller choper des expressions ou des petits détails qui font plus vrai.

J’avais donné comme direction, dans l’animation, d’avoir un jeu assez naturaliste. On aurait pu avoir tendance à aller plus sur du cartoon avec Astérix, et c’est vrai que le design prête à ça, mais c’était très important pour moi qu’on reste sur quelque chose de naturaliste, parce qu’on était quand même sur de l’émotion, sur une histoire forte d’amitié, avec beaucoup de de moments forts & dramatiques. Il fallait qu’on y croie même si on s’est offert quelques séquences plus cartoonesque. 

En plus, c’est vrai que j’ai plus une expérience d’animateur naturaliste, j’ai poussé vers ça, d’où le souci du détail. C’est dans les détails qu’on va ressentir ce côté un peu réaliste et qu’on va y croire. 

C’est vrai que la séquence du discours d’Obélix est très belle, il n’y a pas d’effet, et on est en empathie…

©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

F. J. : Oui, on l’aurait joué plus grotesque, plus cartoon : on n’aurait pas ressenti les émotions, je pense. 

D’ailleurs les animateurs utilisent beaucoup la référence vidéo, ils se filment eux-mêmes ou filment des camarades qui jouent la scène. C’est une étape qu’on utilise beaucoup par économie : ça prend du temps d’animer, donc si on peut déjà échanger avec eux sur des choix d’acting. C’est beaucoup plus facile de se filmer et de refaire rapidement une vidéo pour s’accorder sur les intentions plutôt que de donner des notes sur un plan qui a pris des semaines à être animé —là c’est moralement dur pour l’animateur— donc on utilise pas mal la référence vidéo.

Comment faites-vous pour centraliser tous les studios différents, tous les animateurs différents qui travaillent ? Est-ce qu’il y a des étapes pour tout synchroniser ? 

C’est vrai que souvent en animation on peut avoir plusieurs studios qui travaillent sur les mêmes tâches, on peut avoir plusieurs studios d’animation qui font des séquences séparément, ce qui n’était pas notre cas.

La fabrication s’est faite principalement chez TAT Productions à Toulouse, donc, là, on a un studio à part entière, avec tous les départements qui sont ensemble, qui travaillent ensemble. Le seul challenge qu’on avait, c’était particulier sur cette série, c’est que notre monteur était à Paris et pas au studio à Toulouse : il y avait un travail de communication, parce que le montage en animation est permanent. On monte les choses au fur et à mesure, c’est complètement différent du live où le montage arrive en fin. 

À part ça, on n’a pas eu de difficulté puisqu’on avait un studio qui a créé la série de A à Z. On a eu la chance d’avoir un studio en France qui a tout fait, c’est vraiment précieux.

Pour en savoir plus sur la série, c’est ici
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Toutes les images de la série sont ©Netflix / Les éditions Albert René & les auteurices

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