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par JPF - le 21/10/2013
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par JPF - le 21/10/2013

Fatale 2. La main du diable

Paru en Juin 2013 chez Delcourt, le tome 2 de Fatale, regroupant les épisodes 6 à 10 parus aux USA chez Image, laisse une légère, mais tenace, déception au cœur du pondeur de ces lignes.

 

On ne présente plus (mais on va le faire quand même) le dynamique duo Brubaker (scénario)- Phillips (dessins), auquel s’adjoint ici le coloriste Dave Stewart. Les deux compères (mais qu’on finit toujours par retrouver) nous auront gratifiés au cours de la décennie  de quelques perles noires, à enfiler d’urgence si vous ne savez pas quoi porter ce soir. De Criminal à Sleeper, jusqu’au récent Incognito, ce sont autant de variations sur les motifs du Noir : protagoniste en quête d’une impossible rédemption, jouet de forces qui le dépassent, femmes vénéneuses, bars enfumés, destin scellé (pour le pire). Brubaker ajoute à ses motifs ses propres figures, récurrentes d’œuvre en œuvre : discret éloge de l’individu face au Système (criminel, gouvernemental), constitution d’amitiés rares mais solides, scellées au combat, préférence du petit groupe à l’armée anonyme, mais aussi impuissance à survivre hors du système combattu. Figures (qui ne sont pas sans évoquer David Goodis) que l’on retrouve aussi bien dans les titres sus-cités que dans le mainstream Captain America, pour lequel Brubaker a livré un très beau run de 2004 à 2012.

Sean Phillips est le complice idéal : sa narration, d’un classicisme porté à son pinacle, porte admirablement les constructions solides de Brubaker, le tout servi par une maestria dans le travail sur la lumière, et donc des ombres, que l’artiste sculpte littéralement, dans une lignée que l’on pourrait faire remonter, au moins, à Alex Toth. Le choix Stewart aux couleurs tombe sous le sens, le grandissime coloriste ayant officié auprès d’un autre « maître des ombres », Mike Mignola.

 

Bon, c’est bien beau, et Fatale, dans tout ça ? C’est pas qu’on s’emmerde, mais bon. D’accord, alors prenez tout ce que je viens de bouiner plus haut et collez-le sur la proposition suivante : et si la Femme Fatale du roman noir devait sa puissance de fascination, ainsi que sa propension à semer autour d'elle force cadavres à zizis, à des forces surnaturelles, lovecraftiennes ? C’est bien le cas de Joséphine, la Fatale en question, qui fuit à travers les âges (elle est immortelle) un démon qui lui mettrait bien la main dessus. Pour s’aider, la Dame fait ce qu’elle sait faire : se faire mettre la main dessus, à travers les décennies, par des chevaliers servants fascinés qui, par ce geste, courent à leur perte (Non, Joséphine n’est pas leur ange gardien. D’accord, je rentre).

Le premier volume (situé dans les années 50) nous avait gratifiés d’une belle figure typiquement  Brubakerienne : Walt  Booker, flic pourri au bout du rouleau, miné par sa capacité de toujours  à voir les démons qui nous entourent, et rincé par sa relation avec Joséphine, véritable drogue. Mais déjà, Brubaker donnait de la tête à droite et à gauche, ne parvenant pas à se décider pour un véritable protagoniste (outre Walt et Jo, deux autres mâles sur qui Jo va jeter ses feux) et, malgré l’émotion suscitée par le parcours de Walt, le lecteur restait (un tout petit peu) sur sa faim.

Le volume 2 accuse encore plus cette valse-hésitation. Encore une fois une belle esquisse : Miles (cette fois, nous sommes à la fin des années 70), acteur raté rongé par ses regrets, et qui va trouver en Jo une possible rédemption. Mais Brubaker se focalise tantôt sur lui, tantôt sur Jo, empêchant d’une part qu’on « colle » à Miles et qu’on éprouve pour lui cette empathie que l’auteur sait si remarquablement provoquer chez le lecteur (relire Sleeper), d’autre part nous en disant trop, ou trop peu, sur Jo. Le meilleur de Brubaker  est toujours advenu lorsqu’il ne lâchait pas son protagoniste d’une basque, et lorsque ses figures féminines restaient dans une opacité fascinante. Passer de l’un à l’autre (en y ajoutant encore un personnage au présent) gâte la sauce. Qui trop embrasse mal étreint, comme disait ma Grand-Mère le jour où George Bush s’est étranglé avec un Bretzel.

Reste le travail de Philips et Stewart, impeccable, le travail d'édition de Delcourt, impec là aussi. Reste surtout que la chose se lit quand même sans trop d'ennui. Je vous le disais à l’entrée, légère, mais tenace, déception.

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