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par Elsa - le 18/02/2016
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par Elsa - le 18/02/2016

Ruines, la critique

L'éditeur Çà et Là, dont le titre Tungstène a été primé au dernier Festival d'Angoulême (fauve polar), sélectionne pour son catalogue des titres ambitieux et originaux. Ruines ne fait pas exception.

Reconstuire.

George et Samantha quittent New York pour une année sabbatique à Oaxaca, petite ville du sud du Mexique. L'occasion pour elle de se mettre enfin à son projet de roman, pour lui de se remettre à la peinture et de s'adonner à sa passion : l'observation des insectes. Entre les lignes, ils essaient aussi de sauver leur couple, fragilisé par le temps et par le désir de Samantha d'avoir un enfant, quand pour George il n'en est pas question. Pendant que son mari découvre la ville et s'adapte petit à petit à sa nouvelle vie, Samantha doit affronter des souvenirs qu'elle a jusque là enfermé tout au fond de son coeur.

Quand la fiction rencontre des drames bien réels.

Ruines est un récit de fiction qui s'inspire pour beaucoup des deux années passées par l'auteur dans la ville d'Oaxaca. Ainsi, le contexte dans lequel prend place l'histoire est vrai : en 2006, une grève des enseignants a été violemment réprimée par la police. Cet élément crée une tension très particulière dans le récit, qui vient contrebalancer le rythme tranquille de la vie des deux personnages, et le soleil omniprésent qui baigne les rues et les planches. 

Ruines a une construction intéressante : le fil conducteur est la migration d'un papillon, un monarque, qui effectue en solitaire le même voyage que les deux personnages. On suit son avancée dans des pages contemplatives qui viennent rythmer le récit, lui apportant une touche poétique, et un peu étrange. Car si elles sont belles, les pages qui lui sont consacrées montrent en arrière plan les ravages de l'homme sur la nature, critique muette et glaçante. L'histoire de George est Samantha est, elle, constituée de petites tranches de vie réalistes. Si le couple vient pour se reconstruire, on suit pourtant du début à la fin deux trajectoires qui ne cessent de s'éloigner. Venus à Oaxaca pour renouer avec eux mêmes, ils se comprennent l'un et l'autre de moins en moins. L'auteur ayant vécu deux ans dans la ville, les décors sont fidèles, montrant le quotidien mexicain sans fioriture. Le résultat est coloré, beau et un peu triste en même temps, ne cachant ni la pauvreté ni la beauté des lieux. 

Pendant que Samantha renoue secrètement et douloureusement avec son passé, George se lit d'amitié avec un ancien photojournaliste expatrié. Cette rencontre va changer le cours de la vie des deux hommes, et lier le récit à l'actualité violente à laquelle fait face la ville. Les personnages sont complexes mais on s'y attache peu. En effet les deux héros sont assez passifs, très tourmentés, et n'ont pas grand chose de sympathique. Mais le récit donne envie de découvrir où cette expérience loin de chez eux va les mener.

Cette bande dessinée est l'histoire d'un couple mal en point, mais c'est finalement la partie la moins intéressante du récit. L'auteur n'y met pas vraiment d'émotion, plus concentré sur les parcours et les évolutions des personnages, indépendamment les uns des autres. À travers leurs yeux, on découvre la vie sur place. La construction un peu cacophonique, où se mêlent leurs promenades ensemble ou en solitaire, les discussions avec d'autres personnes, les souvenirs de Samantha et la migration du monarque est à la fois très riche et pleine de surprise. C'est expérience de lecture, comme un puzzle complexe, est très réussie.

Graphiquement, les planches sont assez déstabilisantes : les planches suivant le voyage du monarque sont réalistes et détaillées, douces et dures à la fois. Celles représentant les héros sont différentes : les décors sont réalistes, minutieux même, même si les batiments semblent toujours en modèles réduits. Les personnages, eux, sont représentés de manière plus maladroite, avec des perspectives pas toujours respectées et un style un peu daté. C'est d'autant plus troublant que dans les passages mettant en scènes des insectes, qui passionnent George, mais également l'auteur, ils sont, eux, représentés de très jolie manière, creusant un peu plus le manque d'harmonie de l'ensemble.

Ruines est un comics très dense, à la construction originale et réussie, qui retranscrit une atmosphère, à un moment clé de l'Histoire d'Oaxaca. On pourra regretter des héros traités de manière un peu maladroite, autant graphiquement que dans la mise en scène de leur relation, qui deviennent secondaires face aux autres qualités du récit.

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