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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 2/05/2023
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par Baptiste Gilbert - le 2/05/2023

Bibliomania : Alice au pays des cauchemars

Le scénariste Orval et le dessinateur Macchiro font une arrivée fracassante en France avec leur première œuvre, Bibliomania, éditée par Mangetsu. Un voyage visuel et narratif unique — entre psychologie humaine et grands concepts philosophiques — au sein d’un univers de dark fantasy captivant.

Dans un monde apocalyptique et vidé de ses habitants, la petite Alice trouve un livre et se réveille dans un espace vierge de tout, une “chambre” dotée du numéro 431. Une créature qui se présente comme le maître des lieux lui propose d’exaucer tous ses vœux en attendant le grand banquet qui surviendra lorsque la chambre 666 aura trouvé un occupant. Mais Alice ne veut pas de ce paradis artificiel, elle veut sortir, rejoindre la réalité et trouver un bonheur, infime peut-être, mais réel. Mais pour cela, elle doit traverser les 430 premières chambres, qui constitueront autant de mises à l’épreuve.

Commence alors un périple à travers la psyché humaine, chaque pièce étant différente en fonction de son/sa résident.e et de ses peurs et aspirations. Chacun de ces univers de poche représentent également différents aspects de l’horreur du monde réel qui mettront à l’épreuve la détermination d’Alice. Pour rester concentrée dans sa quête, la petite fille devra persévérer et faire preuve de toute sa motivation. Et le personnage a pour cela un don inné, peut-être propre aux enfants : en traversant ces paysages d’horreur, elle ne peut s’empêcher de rire et de s’amuser de petits riens.

“Cette douce naïveté … N’est-elle pas aussi la preuve de son humanité ?“

Mais ce n’est pas tout, car alors qu’elle découvre les horreurs peuplant les chambres du ’”manoir”, son corps se gangrène et se putréfie pour adopter peu à peu des caractéristiques monstrueuses. Le tout forme une belle métaphore de la pureté d’âme d’une enfant, qui s’étiole à mesure qu’elle prend conscience de la réalité du monde et de la difficulté à trouver le bonheur. La relecture d’Alice au pays des merveilles prend alors tout son sens, avec cette métaphore du passage à l’âge adulte doublée d’un twist horrifique.

Au-delà des pages 

© Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment

Aux trois quarts, l’histoire de Bibliomania prend une toute autre tournure, pour aborder la soif de connaissances sans limites de l’espèce humaine, qui constitue à la fois une source de pouvoir et un danger qui pourrait causer sa perte.

Œuvre japonaise oblige, la tentation est forte d’y voir une métaphore de la technologie nucléaire et de la désolation qu’elle pourrait apporter à l’humanité. Mais cette analyse serait réductrice, comme le prouvent les nombreuses références bibliques disséminées à travers l’œuvre : la soif de connaissance donc, mais également l’ouverture sur une citation de l’évangile selon St Jean, les 666 pièces du manoir, ou encore le maître des lieux qui, sous la forme d’un serpent, soumet ses invités à toutes les tentations, donnent à son propos une portée plus large et philosophique.

En dire plus serait trop en dire. Si on peut regretter que cette conclusion casse une partie de ce qui avait été construit dans la première partie de l’ouvrage, et qu’elle n’en explique presque trop, elle n’en est pas moins maîtrisée et fascinante, ajoutant de nombreux niveaux de lecture et interprétations possibles à une œuvre qui en était déjà riche.

© Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment

On ajoutera enfin un plaisant aspect méta à ce voyage au fil des pages, dans tous les sens du terme. Le parcours d’Alice est aussi celui du lecteur, qui parcourt cet ouvrage avec elle et découvre peu à peu l’univers mystique et fascinant créé par Orval. Les chambres se dévoilent à mesure que l’on tourne les pages, et les personnages semblent régulièrement naviguer d’une page à l’autre ou essayer de s’échapper de leurs frontières de papier. Le livre trouvé par Alice ne fait qu’un, ou presque, avec celui que l’on a entre les mains.

Le dessin de Macchiro est virtuose et nous offre à chaque étape des visuels imprimant la rétine, en particulier sur les sublimes doubles pages. À mesure de la découverte des “chambres”, et surtout de la transformation monstrueuse du corps d’Alice, on découvre une horreur visuelle efficace, qui n’en fait jamais trop. La structure du scénario permet un renouvellement constant de l’univers graphique, qui devient de plus en plus dense et noir à mesure que l’on s’enfonce dans les méandres de la psychologie humaine et que les révélations se font.

L’édition est luxueuse, et la couverture cartonnée et en relief a même été retravaillée par le dessinateur spécialement pour l’édition française.

Bibliomania est un objet unique, une odyssée qui happe le lecteur en quelques pages et ne cesse de le fasciner jusqu’à son terme. Une histoire complète en un tome, riche de nombreux niveaux de lecture, et qui plus est dotée d’une superbe édition. Il serait dommage de passer à côté !

Bibliomania, de Orval et Macchiro, Mangetsu


Illustrations : © Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment

© Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment
© Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment
© Orval / Macchiro / Mangetsu / Creative Entertainment
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