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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 16/08/2023
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par Baptiste Gilbert - le 16/08/2023

Je suis Métisse, conflits d’identité au fil du crayon

Je suis Métisse, de Sayra Begum, explore ce qu’est le multiculturalisme au sein d’une famille entre le Bangladesh et l’Angleterre. Avec cet album à la patte visuelle très originale, centré sur les conflits internes et familiaux d’une jeune femme, l’autrice livre une oeuvre subtile et unique sur l’identité.

De l’aveu même de l’autrice Sayra Begum, Je suis Métisse est une œuvre autobiographique, au sein de laquelle elle a inclus des aspects surréalistes. Shuna, le personnage principal de Je suis Métisse, dont la mère est bangladaise et le père anglais converti à l’Islam, est son alter-ego. Rien d’étonnant pour cette passionnée de romans graphiques (auto)biographiques, qui indique avoir été marquée par les œuvres de Craig Thompson (Habibi, Blankets), Phoebe Gloeckner (Vite, trop vite) ou encore Marjane Satrapi (Persepolis).

L’album débute au moment où, à la veille de son mariage, le personnage de Shuna revient sur sa vie passée, son rapport à sa foi, à sa culture, à sa famille et en particulier à sa mère, Amma. En fil rouge de sa vie, on découvre le difficile équilibre entre les injonctions à être une “bonne musulmane” d’un côté, et de l’autre la soif de liberté et les influences extérieures au cercle familial et religieux, dans un pays occidental. Un dilemme quotidien autour duquel l’autrice tisse une relation complexe entre son alter-ego et sa mère, faite d’amour mais aussi de friction et parfois d’opposition frontale. 

Cette mère qui la pousse à respecter tout un tas de critères liés à la foi et à ne surtout pas abîmer sa réputation et celle de la famille. Le regard des autres membres de la communauté bangladaise et musulmane est au centre de ses inquiétudes, dans un sens comme dans l’autre : là où certain.e.s critiquent le moindre écart aux règles du coran, d’autres au contraire se moquent de la piété trop fervente. En arrière-plan, on sent aussi le poids du regard des non-musulmans, commentaires xénophobes inclus.

En développant ces nombreuses réflexions autour de la religion, de la famille, du multiculturalisme et du déracinement, Sayra Begum offre une réflexion riche et subtile sur la construction de l’identité lorsque l’on est soumis à de multiples influences, et les conflits personnels et intergénérationnels qui peuvent en découler.

Clivages assumés

© Sayra Begum / Delcourt

Le récit est un peu décousu, et on passe parfois d’une époque ou d’un sujet à l’autre de manière abrupte. Toutefois, on peut imaginer qu’il s’agit là d’une volonté de l’autrice, comme si on suivait le fil des ses pensées et de ses souvenirs, digressions, zones d’ombres et pensées parasites comprises. Si elle est décousue, cela donne aussi à la narration un côté fascinant, allant toujours là où on ne l’attend pas.

Le coup de crayon de Sayra Begum est pour le moins particulier, sans doute clivant, mais avec une patte unique. Une fois dépassé le côté froid lié à l’utilisation du crayon gris et aux faciès pour le moins austères des personnages, on peut apprécier la grande inventivité du découpage et de la mise en scène. L’autrice tente de nouvelles choses à chaque page, quitte à ce que le sens exact qu’elle veut donner à ses cases soit parfois un peu opaque. 

Parmi ses inspirations visuelles, l’autrice cite le surréalisme et les miniatures islamiques, qu’on retrouve assez clairement dans la mise en scène de ses personnages et dans sa manière d’utiliser la perspective. Une première manière de nous désorienter, pour retrouver le point de vue du personnage. Comme les personnes mal à l’aise face à des cultures qu’ils ne connaissent pas, le dessin de Sayra Begum nous déroute puis nous embarque jusqu’à ce que l’on dépasse nos a priori et que l’on ne comprenne la richesse de ce métissage.

Sayra Begum livre un album étonnant, qui sort des codes grâce à une patte unique : une œuvre avec un côté austère, mais qui offre une grande inventivité visuelle et un propos aussi riche que subtil. 

Je suis Métisse, de Sayra Begum, Delcourt

© Sayra Begum / Delcourt


© Sayra Begum / Delcourt

© Sayra Begum / Delcourt
© Sayra Begum / Delcourt
© Sayra Begum / Delcourt
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