En 1944, Chu Hing est le premier auteur de comics d'origine asiatique. Il crée La Tortue Verte, un justicier à la carrière éclair (cinq parutions), oublié de tous, mais qui est pourtant le premier super-héros chinois. Gene Luen Yang et Sonny Liew ont décidé de faire revivre ce personnage et d'imaginer ses origines.
La naissance de La Tortue Verte.

Hank est américain d'origine chinoise. Ses parents ont émigrés aux Etats-Unis bien avant de se rencontrer et son père possède aujourd'hui une petite épicerie où notre héros aime passer tout son temps. Sa mère, qui n'a jamais su trouver son bonheur dans ce mariage arrangé, ne s'est jamais trop occupé de lui.
Jusqu'au jour où L'Ancre de la justice, un super-héros particulièrement populaire, sauve la vie d'Hua. Cette dernière s'intéresse tout à coup beaucoup à son fils. C'est un bon garçon, lui aussi pourrait devenir un justicier... Même s'il n'a pas de pouvoir ?
Hommage au comics et à la communauté sino-américaine.

Gene Luen Yang, le scénariste de The Shadow Hero, est lui-même un fils d'immigrés chinois. C'est donc à la fois l'histoire de ce super-héros méconnu et celle d'une partie de la population américaine qu'il raconte ici. Avec beaucoup d'humour, il imagine ce qui a pu amener son personnage, Hank, à devenir La Tortue Verte. En fin d'ouvrage, il explique être parti du peu d'éléments présents dans le comics originel, même les plus tirés par les cheveux, pour créer son personnage. En plus de sa postface, le dossier compte aussi quelques pages des aventures de la Tortue Verte publiées en 1944.
Si l'histoire en elle-même est souvent assez cliché (une volonté appuyée qui évoque à la fois le comics pas toujours subtile et les films d'actions de l'époque) et manque un peu d'énergie, elle n'en reste pas moins drôle et prenante. Sans forcément connaitre les origines de ce héros, on apprécie de passer un moment en sa compagnie et de découvrir comment un jeune homme sans histoire se retrouve contraint par sa mère à enfiler un costume et à se battre contre le mal. Le récit, qui prend place à Chinatown, met aussi en lumière sa population et son histoire, pas forcément de manière subtile et réaliste, mais on ne peut qu'apprécier de voir représenté cette communauté souvent invisibilisée. Ce comics contient tous les ingrédients d'un film d'action de l'époque, avec des méchants cruels, des femmes sublimes et des rebondissements à n'en plus finir.
Au-delà du récit, The Shadow Hero nous permet aussi de découvrir l'histoire de La Tortue Verte qui, par ses mystères, met en lumière une certaine mentalité dans le système éditorial des années 40. Comme l'explique le scénariste, les origines de la Tortue Verte restent inconnues. Son visage est toujours caché (de manière parfois complètement absurde) et un élément perturbateur survient à chaque fois qu'il pourrait en dire plus sur lui. Ce flou a sans doute une explication donnée par Gene Luen Yang : un bras de fer entre Chu Hing, l'auteur, désireux de mettre en scène un super-héros d'origine chinoise et son éditeur qui souhaite en faire un occidental. Gene Luen Yang et Sonny Liew ont pris le parti de se servir de beaucoup d'éléments tirés de cette mésentente pour enrichir leur récit. De l'étrange tenue rose fluo (sans doute choisie par l'éditeur pour évoquer une peau occidentale et non asiatique) à l'ombre en forme de tortue qui s'exprime parfois à sa place, tout trouve une explication logique et le résultat est plein de malice. On sent vraiment le plaisir et l'amusement du duo à travailler sur ce projet, ce qui rend la lecture d'autant plus agréable.
Le dessinateur, Sonny Liew, mêle une mise en scène très comics à un trait qui évoque plus la bande dessinée asiatique. Les deux influences s'associent parfaitement pour un résultat plein de personnalité. Son trait est nerveux et maitrisé, les planches très riches. Si le dessin est évidemment très éloigné des planches originelles de la Tortue Verte, il s'amuse pourtant à reprendre la gestuelle très surjouée et les cadrages des comics de l'époque, notamment dans les scènes de combat, pour un résultat efficace et plein d'humour. On sent dans son travail, comme dans celui du scénariste, une volonté de rendre hommage à la fois à la culture américano-asiatique et à l'âge d'or du comics, aux codes un peu datés mais qui n'ont rien perdu de leur charme.

The Shadow Hero est une bonne surprise. Drôle, rythmé, il rend hommage aux comics super-héroïques tout en remettant sur le devant de la scène le premier super-héros chinois.






