La série de Daisuke Imai s'est achevée il y a quelques semaines avec son cinquième tome. L'occasion de se demander si la série a tenu ses promesses.
Les invisibles du Japon.

Yoko est une jeune fille malheureuse qui échappe de peu à un accident de bus. Déclarée morte, elle saisit cette occasion pour mener une vie clandestine, squattant des appartements pendant que leurs locataires sont absents. Jusqu'au jour où elle découvre que c'est une pratique plus courante qu'elle ne l'aurait cru et que cette communauté invisible à un nom : les sangsues.
Quand elle rencontre un ancien camarade de classe, sangsue lui aussi, elle brise involontairement l'équilibre de ce petit monde. Les sangsues ne sont pas des enfants de choeur : pour survivre dans la clandestinité, il faut être prêt à tout et surtout au pire. Et Yoko va en faire les frais.
Quand l'équilibre est rompu.

Si dès le premier tome, ce manga s'annonçait assez sombre, il ne laissait pas présager toute la violence qui allait suivre. D'une oeuvre assez sociale, Sangsues bascule vers le thriller et perd de son réalisme. Le mode de vie des sangsues n'est plus que le contexte d'une chasse à l'homme meurtrière. Si certains lecteurs pourront être déçus par la tournure que prend le récit, ce manga est pourtant une vraie réussite. Yoko et Makoto, les deux personnages principaux, sont complexes, réalistes et bien écrits. Ceux qui gravitent autour d'eux sont bien plus étranges. Parias de la société, ils ont depuis longtemps abandonné toute normalité pour vivre selon leurs propres règles. Pouvoir s'identifier aux héros permet au lecteur de plonger dans le monde clandestin que l'auteur met en place, où des décors anodins prennent une toute autre dimension. Un appartement banal dont le locataire est au travail change tout de suite d'ambiance quand on sait que des inconnus viennent y dormir ou y prendre une douche quand personne n'est là pour les voir.
Si le scénario manque un peu de densité, il n'en reste pas moins que l'écriture est au scalpel, avec un côté brut qui rappelle le très bon seinen Gangsta. La tension est particulièrement maitrisée et la sensation de danger omniprésente. Yoko est un personnage lumineux. Elle apporte une sensibilité toute en douceur qui enrichit considérablement l'ensemble. Si certains éléments du récit auraient mérité d'être plus développés, il y a dans la narration un côté minimaliste aussi original que plaisant. Il est question d'ambiances fortes, d'émotions puissantes et viscérales. L'histoire est presque secondaire comparée à cette énergie.
Le dessin est particulièrement beau et lui aussi épuré. Il y a une violence froide dans ces noirs profonds et ce blanc chirurgical qui envahit les pages. Cette colorisation minimaliste éclaire l'ensemble d'une lumière artificielle, glaçante. La douce Yoko regorge de volonté pour se sortir du piège dans lequel elle se trouve malgré elle, imprégnant de sa lumière ceux qui croisent sa route, comme elle adoucit les pages par sa présence. À son contact, Makoto est de moins en moins facile à cerner. La pénombre qui l'entoure se dilue et il devient fascinant. Si beaucoup de ceux qui hantent les pages ne sont faits que de haine pure, ces deux-là apportent chacun à leur manière toute une palette d'émotions plus subtiles. Très sombre, ce manga se fait parfois très cru, violent dans ses représentations. Ce qui le réservent à un lectorat averti.

Tout au long de ses cinq volumes, Sangsues conserve une tension brute qui ravira les amateurs de thriller. Le scénario aurait parfois mérité d'être plus développé mais ce traitement rapide et viscérale apporte une ambiance puissante dont on se régale. Et au milieu de la violence, le personnage de Yoko est comme une lumière salvatrice qui apporte une douceur surprenante et subtile.





